Et si on faisait une pause ?

À écouter dans Inoxydable #16

En quelques semaines seulement, le corona virus, Coco pour les intimes — et je crois que désormais, nous pouvons nous considérer comme intime avec cette petite racaille — a réussi là où le libéralisme, le communisme, l’écologie, la guerre, la conquête spatiale ou le foot ont échoué. Cette raclure a fédéré 4 milliards de personnes. En moins de temps qu’il n’en faut pour gagner un Smic.

Quelques mois plus tôt, malgré les larmes de Greta Thunberg, l’agonie des ours polaires et les grands yeux tristes des enfants qui fabriquent des baskets pour des connards dans mon genre, personne n’imaginait renoncer à l’avion ou à son SUV, à manger moins d’une vache par repas ou à fabriquer des téléphones, arguant qu’un résultat significatif impliquait une prise de décision mondiale, impossible à obtenir. Et s’il n’y a pas de solution, c’est qu’il n’y a pas de problème pas vrai ? Mais Coco nous a démontré le contraire. Désormais, plus aucun projet, plus aucune idée, aussi complexe à mettre à en œuvre soit-elle, ne pourra être écartée sous prétexte « qu’il serait impossible de tous nous mettre d’accord ».

Et ça tombe super bien, parce que j’aimerais soumettre au monde qui m’écoute une chouette idée. Malheureusement, pas le genre à changer la donne climatique ou à apporter la paix des peuples. Mais bon, je fais ce que je peux : j’anime un podcast, j’suis pas super Macron. Cela dit, lui non plus ne change pas la donne climatique et n’apporte pas la paix des peuples. Et côté podcast metal, je veux pas la ramener, mais il me semble que j’suis un cran au dessus. Donc finalement, mon idée n’est peut-être pas aussi moisie que prévu.

Bref, PARCE QUE C’EST MON PROJET j’aimerais que, pendant deux ans, partout dans le monde, on arrête de créer. On arrête d’écrire, d’enregistrer, de filmer ou, en tout cas, qu’on ne publie plus les résultats de cette création. Blackout total sur les idées, les petites et les grandes. Plus de séries, de films, de jeux, de spectacles, de bouquins, etc.

Pourquoi ? Parce qu’il y en a marre de vos conneries. Trop de trucs, partout, dans tous les domaines. Faudrait 10 vies pour en faire le tour alors même que 90 % de ce qui sort est nul et sans intérêt. Cette production est devenue le simple carburant d’une « industrie culturelle » en totale surchauffe, le fuel du grand moteur à combustion global. De quoi choper la rage contre la machine. Et si on élève le débat juste un peu au dessus du niveau de la mer, rappelons qu’on parle de culture et d’art. Un domaine privilégié à la conjonction de la sensibilité, de la créativité et dont le but ultime reste l’élévation de l’âme. Ni plus ni moins et quel que soit le sens que vous donniez à ce mot valise.

L’urgence est donc de trouver le frein et de stopper le train, dans un grand crissement de bielles et de rouages, au milieu de jets de vapeur et d’immenses gerbes d’étincelles. Nous attendrons alors que le halètement de la chaudière se calme, comme un grand animal après son galop, pour finir par se taire et laisser place… Au silence. À la tranquillité. À cette quiétude propre à la rêverie et à la balade, à la découverte et la curiosité.

Couper le robinet c’est prendre conscience de l’océan qui nous entoure, de son immensité et de tous les mystères qu’il recèle déjà. Pour se limiter à la question musicale, à côté de combien de mélodies, d’histoires et d’expériences sommes-nous passés, enfiévrés et anxieux à l’idée de perdre une place dans la course à la nouveauté?

Vous me direz, pas la peine que le monde s’arrête pour que toi, tu t’arrêtes. Sachez que je caresse l’idée, peut-être une fois ce podcast achevé (car oui, tout à une fin) de ne plus suivre du tout l’actualité pendant un an et consacrer ce temps à l’écoute des dizaines d’albums que j’ai achetés ces dernières années. En sus des découvertes de choses anciennes. Mais, comme tous les hommes je suis faible, et je ne suis pas certain de résister longtemps à l’appel stupide d’un nouveau « fix », comme un pauvre junkie à la recherche d’un shoot qui calmera davantage le manque plus qu’il n’apportera de satisfaction. Donc, en toute logique, je pense plus sage d’arrêter la production plutôt que de compter sur ma force de caractère. Et la vôtre, hein, parce que je veux bien me flageller publiquement, mais vous n’êtes pas en reste, oui vous, là, qui achetez même les albums live pour avoir la complète hein ! On vous a vus.

Je suis certain que ce confinement artistique, cette distanciation culturelle face à la nouveauté, nous permettrait de prendre du recul, nous donnerait le temps de farfouiller dans la production de ces dernières années, de la juger avec plus de discernement et, peut-être, de revenir à certains fondamentaux qui sont, je le rappelle, le riff, la mélodie, un bon chanteur et cette idée toute bête : si quelqu’un d’autre l’a déjà fait, pourquoi perdre du temps à l’écouter ?