La promesse
À écouter dans Inoxydable #09
La lecture de diverses chroniques ou commentaires concernant le dernier Sabaton en date, The great war, m’a plongé dans les affres de la perplexité, m’amenant, encore une fois, à m’interroger sur mes contemporains, souvent « à côté de la plaque ».
Je passe outre les querelles de chapelle, bon metal mauvais metal, bon chasseur mauvais chasseur, aussi inévitables qu’éternelles, pour arriver au cœur du problème : des critères de jugement pétés et une échelle de valeur débile.
Sabaton, groupe bas du front et premier degré, joue une musique inspirée du metal tranchant de Judas, du heavy martial d’Accept, du hard FM à gros claviers et du néo-classique Malmsteenien. Il a raffiné sa formule au fil des albums, triturant ses curseurs pour équilibrer guitares et tut-tuts, emphase guerrière et bonne humeur de stade. Une bonne humeur et un sens du refrain accrocheur étonnants quand on les associe à des thématiques militaires et des récits de batailles historiques, forcément jalonnés de morts par milliers, baignés de souffrance par hectolitre et de cette déprimante absurdité propre à tout conflit armé.
Questionné au sujet de la cohabitation d’une musique si joyeuse et de textes traitant d’une réalité si dramatique, Joakim Broden n’a pas su quoi répondre. Preuve s’il en est que, Sabaton, en dépit d’une politique commerciale pour le moins étudiée, n’en reste pas moins un groupe assez instinctif, avec un compositeur principal qui fait juste ce qui lui plait sans trop se poser de questions. Et ce qui lui plait, ce sont les gros refrains, les tut-tuts et les chars d’assaut. Faut pas chercher plus loin.
Dommage que Broden ou le gars de Rock Hard ne m’aient pas appelé à ce moment là. Parce que j’avais la réponse. Si l’homme aux lunettes miroir associe guerre et tut-tuts aussi facilement et sans y trouver à redire, c’est parce qu’il est resté aussi enfantin que sa musique. Parce que le metal dans son ensemble est une musique enfantine. On écartera, le temps de ce monologue, les quelques exceptions : à trop chercher les exceptions on ne peut jamais discuter de rien.
J’avais évoqué des « Peter Pan à bracelets à clous » dans un papier sur Manowar pour illustrer l’idée de la naïveté intrinsèque à l’univers metal. De Black Sabbath qui veut faire peur avec le grondement du tonnerre et un glas lointain comme dans le premier film d’épouvante venu à Cradle of Filth et ses vampires à jabots, du robot géant du Priest au dragon de Dio, le metal propose une musique et des textes premier degré, facilement compréhensibles, qui touchent et satisfont nos âmes d’enfants.
Quand Broden parle de la guerre, il se concentre sur des moments héroïques ou tragiques pour offrir des « cartes postales guerrières ». Comme un gosse avec ses playmobils : les bonhommes de plastique s’effondrent sous une salve de tirs, sans jaillissement de sang et de tripes, sans souffrance autre qu’un « argh » de cinéma, sans le drame et la souffrance qui ont précédé (l’attente, la peur, la maladie) ou qui suivront (la perte d’êtres chers, l’emprisonnement, un régime totalitaire). C’est une guerre imaginaire de cinéma hollywodien, faite de héros et de courage, de sacrifices et de nobles causes. Il ne s’agit pas de conflits de marchands d’arme, de luttes pour des ressources ou des intérêts financiers. Le meurtre devient juste une performance, un score, comme dans le cas du sniper finnois qui a descendu plus de 500 soldats allemands à lui seul.
Ces bases posées, comment lire, dans les commentaires et les chroniques, des gens qui s’interrogent sur la pertinence de Sabaton à parler de la grande guerre ? « La musique de Sabaton est-elle à la hauteur du sujet ? ». « Sabaton parvient-il à évoquer véritablement la grande guerre ? ». Bien sûr que non ! Il ne peut pas, ne sait pas et surtout, ne veut pas. La retranscription fidèle ne fait pas partie de ses attributions. Vous voulez découvrir l’horreur des tranchées lisez un livre, matez un docu ou regardez un bon film. Mais n’attendez pas d’enfants en train de jouer qu’ils vous apprennent quelque chose sur le sujet.
C’est une promesse que le metal n’a jamais faite. En marketing, la promesse correspond à ce que vous allez gagner ou retirer de l’utilisation d’un produit ou d’un service. « Vous allez perdre 5 kilos en une semaine », « Vous consommerez moins de 2 litres au cent », « Vous afficherez plus de pixels sur votre écran ». Il s’agit du bénéfice réel apporté par le produit et pas forcément le même que celui vanté par la pub. Une lessive peut bien promettre de « laver plus blanc » la seule vraie promesse du produit est qu’il lave.
Le monde de la musique fonctionne de la même manière. La pub vous raconte que tel disque est le plus violent de l’année (c’est faux) mais promet qu’il s’agit de death old school.
De son côté Sabaton promet de l’héroïsme et des refrains à reprendre en choeur sous la douche, en bagnole ou en concert. Tout est là pour vous l’expliquer, des pochettes au logo, des tenues de scène au clip, etc. Dans ce cadre, le groupe ne ment pas. Vous en avez pour votre pognon. Mais faut pas lui demander de vous émouvoir comme André Dussolier lisant d’une belle voix grave la lettre d’un poilu écrite juste avant de partir aux champignons sur le « Chemin des dames ». Oui, j’aime bien André Dussolier.
On vit tous dans un monde « marketé » et libéral depuis quand même pas mal d’années et certains semblent encore ne pas avoir compris les règles qui le régissent. « La musique de Sabaton est-elle à la hauteur du sujet ? » Quelle question con !
J’en vois au fond du podcast qui gloussent et ricanent. Font les malins. « Je l’ai toujours dit, le metal c’est du second degré, on est là pour se marrer. Tout ça c’est nul et c’est pour ça qu’on écoute ». Je ne suis pas d’accord non plus avec ces amateurs de kitsch et de second degré. Parce que Sabaton (ou d’autres, du Manowar d’origine au Black Sab occulte) ne joue pas la carte du second degré. C’est une musique et une image premier degré qui n’induit pas sa propre critique ou la moindre distanciation.
On écoute Sabaton comme un enfant joue avec ses petits soldats. Sérieusement. En étant traversé d’émotions réelles sur l’héroïsme et la dramaturgie guerrière. Jamais un gamin n’arrête de jouer pour dire « je sais que c’est pour de faux, c’est du plastique et je sais bien que j’ai l’air un peu con à me trainer par terre en faisant des bruits bizarres ». Et jamais un adulte qui regarde un enfant jouer aux petits soldats ne trouve ça nul, ridicule ou con. Parce qu’il ne regarde pas un enfant essayer d’expliquer la guerre, il regarde un môme JOUER à la guerre.
Enfin, ce positionnement ironique sur Sabaton induit qu’à côté, on écoute de « vrais groupes ». Sauf que vous avez mal lu la promesse du metal les gars, qui est, rappelons-le, d’être extrême, dans tous les sens du terme. Et l’extrémisme, par définition, exclue finesse, subtilité ou intelligence. On en revient donc au jeu de la poutre, la paille, l’hôpital et la charité. Vos groupes sont factuellement aussi ridicules et peu recommandables que Sabaton. Ou alors vous n’écoutez pas de metal.