Je ne suis pas Johnny

Après avoir été Charlie, la France est Johnny. Depuis ce matin c’est le grand défilé lacrymal, la dithyrambe sans fin sur l’évadé fiscal le plus célèbre de France, l’idole des vieux jeunes, des beaufs qui portent haut le drapeau confédéré et arborent le t-shirt aigle ou panthère (et je vous parle pas du tatouage Johnny pour la vie), l’icone de la France rance, celle qui préfère toujours la copie à l’original, celle qui n’a jamais vraiment intégré la révolution Stones / Beatles et qui croit qu’Obispo ou M sont incroyablement pop ou rock.
Parce que le rock made in yéyé est la plus grande escroquerie du show biz français. Une pantalonnade qui dure depuis 60 ans et qui a asphyxié la véritable scène rock : celle du larsen Marshall dans les sous-sols glacés, celle des concerts transpirants dans des bars PMU blafards, celle de la route et des sacs de couchage. Pas celle de Johnny, d’Eddie ou Sylvie, la sainte trinité bling bling, jupe plissée et banane en plastique.
Aujourd’hui la France pleure sa propre médiocrité, alors même qu’elle a repris deux fois des moules le jour de la mort de Malcolm, le petit Alzheimer qui a changé la face du monde. Là où la diva belge recrutait toutes les putes du show biz pour s’assurer un répertoire susceptible de plaire à Riton, fan de Johnny — la preuve j’ai tous les dixes ! — d’autres faisaient couler autre chose que leur rimel pour créer un répertoire. Des riffs et des chansons. Et une attitude. La rock’n’roll attitude. Celle qui consiste à pas retourner sa veste au moindre changement, celle qui ne te fait pas chier sur les hippies pour chanter Jésus et les cheveux longs l’année suivante, celle qui consiste à se démerder vaille que vaille, coûte que coûte, riff après riff. Celle qui te fait rester droit dans tes converses même au creux de la vague, même quand tout le monde se fout de ta gueule parce que tu sors encore les douze mêmes chansons sous une nouvelle pochette. Celle qui fait que tu reviens, sur le fil du rasoir pour mettre une dernière estocade, pour un dernier baroud d’honneur.
Aujourd’hui la France pleure Johnny, pleure ce rock qu’elle n’a jamais compris pas plus qu’elle n’a compris la liberté d’expression quand elle a pleuré Charlie et Charb. La même France qui était black blanc beur pour finir à 7 millions derrière la grosse Marine.
« Aujourd’hui nous sommes tous unis » braient les journalistes, les commentateurs et les politiques qui n’unissent plus grand monde depuis longtemps. Unis pour célébrer un veau dont le seul or a été celui des disques qu’il nous a assénés pendant 60 longues années.
Et bien moi « je ne suis pas uni ». Je ne suis pas Johnny de la même manière que je n’étais pas Charlie. Parce que j’aime bien choisir à qui je « m’unis ». Avec qui je me rassemble. Et alors que derrière l’étendard Charlie on a vu défiler dictateurs sanglants, réacs notoires, fachos reconnus, tous pourtant ciblés par Charb et son équipe, tous désespérés de l’intelligence qui voulaient embrasser les flics en janvier et leur cracher à la gueule en mars, on verra les mêmes chialer sur l’idole des cons.
Non merci. Et s’il n’est pas très correct, ni très malin, de se réjouir de la mort d’un homme, en ce mercredi 6 décembre je me réjouis de la mort d’un symbole, celui de la France que je déteste, celle qui est si fière de son patrimoine alors même qu’elle sifflote sans le savoir la musique de John Fogerty ou d’Eric Burdon, cette France de l’inculture qui révère les roseaux plutôt que les chênes, les photocopieurs plutôt que les créateurs et dont l’échelle de valeur, totalement baisée, lui fait croire que M c’est Prince, que Hugues Aufray c’est Dylan, qu’Obispo c’est McCartney ou que Bioley c’est Nick Drake. Je n’ai pas de fascination démesurée pour les anglais, aucun fanatisme aveugle (pléonasme) pour la chose américaine, mais bon, y a des jours où on a des envies de Frexit. Merde in France.