Choisir son ennemi
Dans 3 minutes, on va perdre des auditeurs. Certains vont peut-être même nous lâcher avant la fin de ce billet. C’est acté, prévisible, inévitable. Tout ça parce que je vais aborder LE sujet qui fâche dans le monde du metal, le thème interdit. Bref, je vais parler de politique.
— Oh non, pas ça, on n’est pas là pour ça, seule la musique importe, bla bla bla !
Si si. Tout est parti d’une récente interview de Nergal, leader de Behemoth, groupe de black plus évolué que la moyenne, dans laquelle il évoque sa croyance satanique et sa détestation de l’église catholique, constatant que les deux restaient aussi vivaces qu’à l’époque de sa prime jeunesse. Et il ajoute emmerder ceux qui lui reprochent de ne pas s’attaquer à d’autres religions et notamment à l’Islam, arguant qu’en Pologne, ce dernier est absent, alors même que la team de Nazareth reste très active.
Une remarque que j’ai prise pour moi. Lors de nos commentaires sur le dernier Kreator, j’avais regretté que les groupes européens et anti-religieux concentrent leur haine sur la cible facile du catholicisme. Facile parce que, a priori, l’église catholique est plutôt en perte de vitesse dans nos contrées, renvoyée dans ses buts illico presto quand elle émet des protestations devant une pochette de Cradle of Filth ou l’idée du mariage homosexuel. L’omerta autour du sujet de la pédophilie en soutane n’a pas arrangé son cas et l’a affaibli davantage, y compris auprès de ses ouailles, enfin inquiètes pour leurs bouts de chou et l’intégrité de leur rondelle.
Mais l’honnêteté intellectuelle m’oblige à accorder le bénéfice du doute à Nergal. Je ne vis pas en Pologne. Je ne connais pas l’histoire de ce pays et je n’en appréhende pas vraiment les cultures politique et religieuse. Peut-être, qu’effectivement, pour un libertaire polonais, l’Église est un ennemi identifié, actif, fort contre lequel une mobilisation constante s’avère nécessaire.
Ceci étant posé, j’ai tout de même l’impression qu’il existe actuellement des ennemis plus forts ou plus dangereux en Europe. En Italie, en Autriche, en Allemagne, en Grèce. En Pologne justement… Et plus loin. Aux États-Unis. Au Brésil. Nommons-les. Pas comme les journalistes qui, soucieux de ménager leur clientèle, minaudent et finissent par lâcher avec une moue du genre « votre bite a comme un goût », des expressions politiquement correctes : « partis populistes », « à l’autre bout de l’échiquier politique »… Pas de ça chez nous. Le vrai nom qui de ces mouvances, c’est « extrême droite ». Et pour certaines on peut parler de national socialisme. Nazi donc.
Et voilà, c’est malin, bravo mec, point de Godwin atteint en moins d’une minute. Bah oui. Parce qu’il faut arrêter de tournicoter, de parler de patriotes et de régimes autoritaires, de NS ou « d’ultra conservateurs ». Non. Ces gens sont des fachos, voire des nazis. Avec toute la panoplie qui va bien : antisémitisme à la boutonnière, homophobie en bandoulière, croix en gammes et collection de chemises automne-hiver avec ample soufflet dans le dos pour ne pas être gêné quand on tend le bras. Et pas besoin d’avoir fait bac+12 pour repérer ces signaux : tout est désormais explicite, visible, public.
Voilà l’ennemi. On le connaît. Plutôt bien d’ailleurs, parce que l’histoire se répète. Elle bégaie même carrément : tes grands-parents et les miens ont connu les prédécesseurs de ces gens là. Ce n’est pas si vieux. Pas si lointain. Il existe des images en couleurs de cette époque. À peine a-t-on eu le temps de danser le twist, de baiser à tout va, de choper le sida, le chômage et les pokemons, de faire griller les ours polaires en même temps que notre cul, et voilà que les gusses à brassard reviennent !
Tiens, en parlant de brassard, as-tu regardé le nouveau clip d’Emigrate ? Pour rappel, Emigrate c’est le groupe de Richard Kruspe, le guitariste de Rammstein dans le civil. Oui, dans le civil, parce que dans le clip de « 1234 » (aillne zwaille draille vire) il est vêtu d’un costume noir si élégant qu’on le confondrait avec un uniforme dessiné par Hugo Boss. Hugo BoSS, tu sais, la marque avec deux S, comme dans KiSS et dans ShutzStaffel). Et à son bras droit, devine ! Un très seyant brassard rouge. Une provocation ? Probablement. Rammstein est coutumier du fait. Mais, gars, à quoi bon ? Je crois le temps de la provocation sur ces sujets révolue. Il faut en finir avec l’idée de manipuler les symboles douteux pour rappeler à une génération coupable que ses descendants n’ont rien à voir avec cette vieille histoire. Parce que c’est notre tour de faire des choix. Et la chouette génération de Kruspe va, elle-aussi, devoir prendre ces responsabilités. Des nostalgiques de la svastika siègent déjà au parlement allemand et se rapprochent de la chancellerie. Dans son pays. Ne le voit-il pas ? Kruspe n’a-t-il rien d’autre à foutre de ses 4 minutes de vidéo que de nous balancer une énième image douteuse d’esthétique nazi ?
Et côté Nergal, si je peux comprendre que le gars ne s’en prenne pas à la religion musulmane parce qu’il ne la côtoie pas, et qu’elle ne l’agresse pas, pourquoi ne pas dénoncer le lien entre son ennemi séculaire, l’église catholique, et les courants d’extrême droite particulièrement actifs de nos jours et tout particulièrement en Pologne, puisqu’ils y ont pris le pouvoir. D’autant plus qu’il confirme lui même cette accointance, ajoutant même qu’après avoir subi le joug de la dictature communiste, il serait prêt à « lutter » contre celui du fascisme.
Alors, pourquoi utiliser encore et encore l’imagerie biblique, le Mont Sinaï, les jardins de Gethsémani et tout l’attirail pour lutter contre cette église, plutôt que d’établir un parallèle entre les pires pages du Livre et de l’Histoire, entre les chapitres les plus bibliquement intolérants, voire insupportables, et les fachos qui montent ? Pourquoi utiliser une imagerie médiévale, poussiéreuse, de maquillages blafards, de mitres, d’étoles et de chasubles, de crucifixion et d’anges déchus, rendant le sujet distant, fantastique, décorrélé de toute actualité ? Pourquoi ne pas être clair ? Comment peut-on se définir contre les préceptes de l’Église et ne pas se positionner contre les régimes qu’elle soutient ? Parce qu’on sait bien que le combat entre toute église conservatrice et le monde ne se fonde pas sur une discussion philosophique autour des idées et des principes chrétiens, sur la bonté, la charité, le partage. Non. Le vrai combat est celui des libertés individuelles, quelles soient d’expression, de mœurs ou même de mouvement. Le véritable enjeu c’est que ces gens sont là pour nous casser les couilles : si tu ne fais pas partie de la tribu tu deviens l’ennemi. Et si tu ne veux pas qu’on te pète la gueule, soumets toi. A la volonté du barbu mais surtout de ses représentants. Qu’ils soient curés, ayatollahs ou grands babus.
Ohlala Monsieur REM, que vous voilà bien sentencieux, vous plombez l’ambiance, y a pas que les nazis dans la vie, y a Marduk, Burzum, Slayer, la musique, le fun quoi ! Ok, c’est vrai. Prenons un peu de recul, élargissons notre vision. Et comparons les méfaits de l’église avec… Hmm… Disons… Par exemple hein… Au hasard… Ceux du néo-libéralisme ou capitalisme financier. Outre sa responsabilité dans des situations économiques pas toujours idylliques, on peut reprocher à ce système son rôle essentiel dans le processus du réchauffement climatique. N’est-ce pas là un ennemi capable de susciter la colère, de mobiliser les forces créatives et la haine inextinguible d’une musique extrême et désabusée ? On parle quand même d’une doctrine qui a provoqué et provoquera plus de morts que n’importe quel Hitler passé ou à venir. Au passage, soulignons que tous les gouvernements ou mouvements d’extrême droite actuellement en activité véhiculent des idées libérales et donc définitivement anti-écologiques. Et oui ! Quel que soit le bout par lequel on se saisit du sujet, la conclusion reste la même : le metal se trompe d’ennemi.
Évidemment je ne souhaite pas que tous les groupes s’emparent de ces thèmes. Faut pouvoir se détendre en écoutant un p’tit Peste Noire. Je ne cible que les artistes dits engagés, se définissant dans une opposition active à l’establishment, aux vérités pré-cuites, aux dogmes, à l’asservissement des masses. Où sont-ils ?
Je ne suis pas historien et je me demande naïvement qui étaient les artistes populaires dans les années 30 ? Qui détestaient-ils ? Contre qui s’élevaient-ils ? Quels étaient leurs combats ? Avaient-ils fait les bons choix ? Sélectionné les bonnes cibles ? Au passage, comparaison n’est pas raison, et la mienne est injuste : ces gens n’avaient pas un exemple d’expérience totalitaire sous le pif. Arte ne leur diffusait pas toutes les semaines des heures de documentaires sur la montée du troisième Reich.
Que les fans de Behemoth et de Nergal se rassurent : je ne fais pas de fixette sur le bonhomme. Je n’ai aucune certitude, aucun jugement définitif, j’aimerais en savoir plus pour jauger la portée de sa démarche, ses résultats. Et il n’est qu’un exemple, un support à ma réflexion, pas un coupable idéal ou un omni-responsable des maux idéologiques de l’époque.
Et puis, je fais le malin, là, dans le micro, à pérorer, à invectiver ou à lancer de molles alertes, mais c’est davantage par jeu intellectuel que par militantisme. Parce que, comme les bons citoyens des années 30 et comme mes contemporains de 2018, je suis veule, lâche et fainéant. Une fois cette émission mise en ligne, je retournerai à mes drogues de synthèse, à ma came virtuelle, à mon évasion binaire et pentatonique, à cette recherche de l’oubli via l’immédiat qui caractérise notre époque. Et, pas très fier, j’attendrai que ça passe. Ou que ça arrive.