Pour être contre

Pour ce billet, je vais vous parler de moi. Pour une fois… Enfin… Je dis « pour une fois » alors que dans les faits, tous les deux, on ne fait que ça, parler de nous. Quand bien même on prétexte classer les albums de Maiden de la pochette la plus moche à la plus géniale devant la France entière. Enfin « France entière »… Disons une partie de la France. L’équivalent d’une ville quoi. D’une petite ville. Bon ok d’un village. Quoi ? D’un p’tit village ? Ouais. Mais un p’tit village qui résiste encore et toujours à l’envahisseur quand même…
Au passage la pochette la plus moche de Maiden c’est celle de X-Factor, la plus belle c’est Powerslave et la plus hard c’est Killers.

Au cas où mon « accent chantant » ne vous l’ait pas déjà indiqué, je suis né, et je vis dans le sud. Parenthèse : si vous n’avez pas remarqué mon « accent chantant » c’est que vous vivez vous même déjà bien en deçà de la Loire.

Je vous parle d’un sud un peu Pagnol, mais surtout Maillol. Un sud pas très Canebière ou Olympique dans la caisse, pas plus Pasqua que Pastaga. Je vous parle d’un sud de plages et de mer où l’été, beaucoup d’entre vous viennent se déverser avec vos codétenus de HLM et de béton. Cliché ? Pensez ce que vous voulez. Mais plutôt qu’un sud de vacances, de camping et de churros, c’est surtout un sud de vent dans la gueule et de terre sèche, un pays d’hommes aux R roulants comme des galets dans un torrent. Une contrée de paysans secs et nerveux, au regard noir, qui labourent des plaines caillouteuses et crapahutent sur des montagnes aux pentes raides. C’est un pays de rugby et d’aïoli où les gens parlent fort mais se taisent beaucoup.

Dans ce pays, le dimanche, on se regroupe dans la cambrousse ou près d’un vieux mas aux pierres rondes, on se claque sur l’épaule, on rit en buvant du Muscat, on allume des feux de sarments avec du papier journal et on mange une saucisse enroulée sur elle-même, juteuse et poivrée, en se racontant la dernière connerie du voisin parigot qui n’a pas écouté quand on lui a dit « vous devriez mettre une casquette, le soleil tape fort aujourd’hui » et qui a fini avec une insolation, aussi rouge que la tomate qu’on étale sur des tranches de pain frottées d’ail.

Dans mon sud on fait aussi des affaires. Mais ici, les patrons sont tous des fils de paysan. Un sou pris aujourd’hui vaut mieux que dix gagnés demain et une poignée de main de maquignon donnée dans les travées du stade le samedi, devant un match de jeu à XIII, vaut mieux que le meilleur contrat.

Comme ailleurs en France, on a aussi notre musique. La sardane qu’elle s’appelle. Un machin nasillard et lancinant (entre le biniou et l’âne bêlant) que l’on danse en cercle, en se tenant la main, en suivant une chorégraphie légère et sautillante mais pourtant très codifiée, très complexe. Y a des chanteurs aussi. Qui blablatent — en catalan évidemment — des histoires souvent ineptes, mais dont les rimes bondissantes amusent toujours les vieux. Et les autres. Parce qu’on parle tous un peu catalan. Ou on le comprend.

Bref, mon sud est celui d’une tradition. D’un folklore. On se note la définition de folklore dans un coin, histoire de continuer sur de bonnes bases ? L’ami Larousse (le plus mauvais dictionnaire des deux mais c’est celui que j’ai trouvé le plus vite sur Google, quelle tristesse…), l’ami Larousse donc, me dit : « Folklore, ensemble des pratiques culturelles (croyances, rites, contes, légendes, fêtes, cultes…) des sociétés traditionnelles ».

Alors, même sans être un enfant de la balle, un jeune voleur d’autoradios ou un dealer de shit, ni même un adolescent à mobylettes pétaradantes, si l’on se sent juste un tout petit peu « pas d’accord », un chouïa décalé, déphasé avec l’ambiance rustique et quand même un poil faux cul qui règne ici, ce folklore, c’est l’ennemi. Un pilier d’un grand temple dont on a du mal à cerner les contours, mais dont la silhouette massive et immobile projette son ombre un peu trop dense sur le chemin à prendre. Et l’on sait dès lors, qu’il représente tout ce à quoi on s’opposera. On sera CONTRE. La grillade du dimanche ? Non. Le rugby ? Non. La sardane ? Encore moins. Non à cette culture, non à ce poids mort, à ce boulet que l’on traine et qui ralentit, à cette chaîne qui interdit l’envol, non à cette norme insidieuse qui détermine ce qui convient ou pas, qui décide ce que l’on doit penser, faire ou dire.

Quand on grandit dans cet état d’esprit, on finit par rassembler le folklore et la tradition, le flaviol (c’est la flûte à la con typique), les escargots baveux dégoulinant de sauce à l’ail, les sports de ballon et de drapeau et plus largement les éléments de la culture populaire nationale : les musiques de radio, les radios de musique, la télé éclat diamant, les politiques suintant qui te font un clin d’œil en te serrant la main sur le marché du dimanche matin, les horribles colonies de vacances et toute organisation à fonctionnement militarisé, tout ce qui peut se transformer en dogme ou en culte — du terroir à la religion, de la règle de jeu à la sortie en boîte obligatoire du samedi soir, de la sacro-sainte bagnole (à soupapes ou à injection, pour ce que j’en sais et ce que j’en ai à foutre) à la mode vestimentaire (« Tu vas vraiment mettre ce t-shirt ? Cette chemise à carreaux est d’un ringard ! »), tu rassembles tout ça donc, tu fais un joli tas, tu ramènes un bon jerrycan d’essence, tu associes le tout dans un chouette craquement d’allumette et quand ça sent bien le cramé, que t’entends même quelques cris horrifiés en fond, tu te tires. Et tu laisses ta silhouette noire se découper sur les flammes qui grimpent vers le ciel, parce tu aimes bien ce genre d’image mélodramatique et foutrement wahou-trop-la-classe-on-dirait-Batman.

Tu te tires tout seul mais avec un baluchon. Parce qu’on voyage rarement sans bagage. Là-dedans tu as jeté une poignée de trucs auxquels tu tiens : de la musique évidemment. Électrique. Binaire. Anglo-saxonne. Énervée. Des films et des livres. Aucune histoire d’amour. Plutôt des récits de mondes qui n’existent pas ou qui n’existent pas ENCORE, de gens qui ont autre chose à foutre que de griller des saucisses le dimanche. Des aventures de types différents, de monstres sanguinaires et de périls apocalyptiques. Le genre qu’on retrouve dans la bande dessinée. Et dans les jeux. Et dans toutes ces choses qu’on a qualifiées de conneries pour mômes.

Ce sont les adultes qui sautillent en écoutant un biniou agonisant ou hurlent « arbitre enculé » devant des mecs en short galopant après une vessie de porc gonflé d’air, qui estiment que tout ce que tu aimes, ce sont des « conneries pour mômes ». Et que tes lectures, y compris ce bouquin sorti il y a 20 ans qui décrit un monde d’ordinateurs connectés devant lesquels les gens s’abiment, et bien ces lectures, sont vraiment des conneries pour mômes. Postez-ça sur Facebook bande de trous du cul.

On appelle ce baluchon la « sous-culture » quand on est lucide ou la « contre-culture » quand on vieillit. Et qui dit « contre-culture » dit… CONTRE. On y revient. Et c’est pour cela que j’ai un petit problème avec… Le folk metal.
Tout ça pour ça ?
Oui. Tout ça pour ça mais pas que. J’ai mis le doigt sur cette évidence : l’association même de metal et de folk est… Contre nature.
Contre.
Encore ?
Oui.
Je n’écoute pas la musique du diable pour me fader entre deux mauvais riffs tout ce dont j’ai voulu m’éloigner, tout ce que j’ai conchié pendant des années, tout ce communautarisme renfermé, cet « identitarisme » les deux pieds plantés dans la bouse, cette soit-disant célébration des racines et de la tradition. Parce que là où certains voient une célébration de la tradition, je vois surtout du passéisme, du repli, de la mesquinerie campagnarde qui fait considérer que ceux du village d’en face ne sont pas tout à fait comme nous, du mauvais esprit qui pousse chacun, derrière sa moustiquaire, à espionner les allées et venues des voisins, de ce « bon sens paysan » qui, sous un soleil de plomb, oblige les veuves à s’habiller intégralement de noir pour le restant de leurs jours…

Mais je peux étendre mon aversion de la « plouquitude » à la sphère rock. Durant ma lointaine adolescence, pendant les années 80 donc, les gens de bon goût (ceux qui lisaient Rock & Folk et qui se régalent des Inrocks aujourd’hui), se sont passionnés pour les Pogues. Une crasseuse formation londonienne dont le chanteur, Shane Mc Gowan, un poivrot sans voix et à la dentition aussi remarquable que douteuse, était devenu le chantre de la chanson à boire, adoubé par les mêmes cons qui rient de Patrick Sébastien. Alors que Shane McGowan ou Patoche, c’est la même chose ! Totalement anti-rock quoi. Mais les Pogues étaient recommandés par Strummer, le chef des Clash. Donc hein…

Un peu plus tard c’est le rock alternatif, un autre terme pour dire « punk pas pop qui a rien compris » qui, en France, a commis l’irréparable association des guitares et de l’accordéon, du rock et de la chanson réaliste façon Piaf. Le pire représentant du genre étant probablement les Garçons Bouchers… Pfff… Laissons la Piaf dans sa cage dorée, avec tout le respect que l’on doit, non pas au patrimoine mais au talent, et oublions au plus vite François Hadji-Lazaro. Parce que là, c’est plus Patrick Sébastien, c’est Tonton Mimile en fin de mariage qui, tarin écarlate et chemise qui baille, s’empare du « mike » et revisite la franchouillardie.

Tu remarqueras que Patrick Sébastien devient une constante dans cette émission. Mais je ne vais pas revenir sur son lien avec Alestorm ou Korpiklaani hein. Tiens au passage, Korpiklaani ça veut dire « clan de la forêt ». Et pourquoi pas « tribu de ceux qui ont marché dans la grotte » ? Rien que l’idée d’écouter de pseudos vikings me brailler les bienfaits de je ne sais quel tord boyaux de rustaud sur fond de vielle à roue, j’en ai des frémissements d’horreur. J’aurais l’impression de squatter dans une ZAD, coincé entre un cracheur de feux et un putain de joueur de djembé. Et encore, ça c’est le côté sympa du folk metal. Le côté convivial. L’autre côté, la défense des traditions des visages pâles sent déjà un peu plus le moisi non ?

Si on prend du recul pour avoir une vue d’ensemble, comme toute la génération « nouvelle chanson française », les Cali, Bénabar, Delerm and co, ces gens du metal folklorique semblent avoir sauté l’étape Beatles / Stones. Ou sont revenus en arrière, dans un improbable rétro-pédalage culturel, un retour vers le futur où un bandonéon aurait remplacé la fantasmatique Delorean…

Dans le même ordre d’idée du contre, je ne comprends pas qu’un hard rocker soit fan de foot. Parce que le foot c’est l’ennemi. C’est ce contre quoi le rock ou plus largement la contre-culture se bat, s’arc-boute… Ce à quoi on ne veut pas ressembler. Une religion de pelouse et de shorts qui rassemble la majorité. Celle là même qui voudrait vous ratiboiser la tignasse et rétablir le service militaire, celle qui pense que la peine de mort c’est mal mais pas pour les tueurs d’enfants et les terroristes, celle qui était sur les Champs (blocage des rues au frais du contribuable) pour célébrer le plus célèbre fraudeur du fisc, « déshériteur » d’enfants et par la même évadé du droit de succession. Les fans de foot donc. Une masse hurlante qui brandit le poing au moindre mouvement d’une star surpayée…
Ah merde… Ne serais-je pas en train de décrire les concerts dans ces mêmes stades ?

Et oui… C’est ça le plus triste avec la contre culture, c’est qu’elle se fait toujours cannibaliser par la culture dominante. Et de la même manière que les zombies sont aujourd’hui les mascottes de tout le monde (alors que regarder un Romero en 86 vous classait directement dans les contrevenants — « contre », oui…), le rock est parvenu au stade du cirque, un cirque de stade, « un folklore, un ensemble de pratiques culturelles (croyances, rites, contes, légendes, fêtes, cultes…) ».
Non, ce n’est pas nouveau. Mais je trouve ça contre nature.
Contre…
Encore une fois ?
Oui. Toujours.